Venise vue du ciel
"Venise naît et est construite dans l'eau. Tous le savent, tous le notent avec plus ou moins d'émerveillement, les voyageurs du XVe siècle comme ceux d'aujourd'hui. Il y a pourtant une nécessité irréductible à rappeler cette réalité, banale mais sous-évaluée historiographiquement à force d'être si évidente. Car l'histoire de la ville, avant que d'intéresser des horizons lointains et de déployer la puissance vénitienne sur les mers et les marchés de l'Occident médiéval, est celle d'un combat, plus quotidien et plus obscur, pour survivre au milieu des eaux salées. La dynamique de ce combat et de cette création continuée donne, des siècles durant, son sens profond à l'existence de la communauté vénitienne, comme elle peut rendre compte de l'aventure des Vénitiens hors des limites mêmes du bassin des lagunes dans lesquelles leur cité fut établie puis a grandi. Le site est aménagé, refaçonné; la ville, une des plus peuplées d'Occident à la fin du Moyen-Âge, est édifiée, développée, embellie, dans un écosystème d'une réelle âpreté, d'une violente agressivité, d'une inexorable dureté. Un décor admirable, saisissant, est lentement monté au-dessus de la ligne des eaux lagunaires, dans une durée de travail constante et exigeante. Et. bien entendu, les chroniques et les histoires locales voient, grâce à la splendeur des pierres, se réaliser ce qu'elles nomment le miracle vénitien et ce qui, dans un monde pensé comme un théâtre de la puissance créatrice de Dieu, est une scène sur laquelle les hommes s'activent afin de répondre à une attente divine. Au moment où, en Italie, d'autres villes se mettent en représentation, c'est dans les cadres d'une stratégie de création ordonnée qu'à la cité de Venise est donnée une forma qui fait d'elle un lieu du Beau, un lieu théâtral.
Pour comprendre Venise, il faut présumer d'une volonté, dont on ne peut nier l'empirisme structurel, d'invention théâtrale de la ville. Pour comprendre cette volonté qui passe par une quotidienneté difficile de l'effort, le mieux est de procéder, précisément, par un fractionnement du travail de création en des scènes exemplaires de la vie vénitienne.
Les lignes qui suivent (dixit "Venise: une invention de la ville) ont donc l'ambition, en une série de scènes particulières, d'éclairer le mouvement de cette création, de montrer comment les hommes livrèrent, dans ce site impropre, fragile et incertain, des combats toujours recommencés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire