Canal Grande

Canal Grande
Vu depuis la Ca d'Oro

dimanche 13 mai 2012

LE CHARME DE VENISE - Venise morte et ressuscitée (8)

Palazzo Balbi (à gauche) vu de la Ca'Rezzonico
VENISE MORTE ET RESSUSCITÉE        
On en vint ainsi aux premières années de la Révolution française. La Sérénissime République n’avait plus, politiquement, qu’une façade branlante : mais enfin c’était encore un état indépendant. Lorsque Bonaparte entreprit sa campagne d’Italie, le Sénat lui fit des avances, puis le crut perdu et se retourna vers l’Autriche. On alla jusqu’à cribler de boulets un petit bâtiment français dans la lagune : presque au même moment, on apprenait la marche  foudroyante de l’homme prédestiné et les préliminaires de Leoben. Le Sénat terrifié demanda grâce au vainqueur. Bonaparte irrité annonça « qu’il allait être un Attila pour Venise et son gouvernement décrépit » ….Le doge Manin capitula, tandis que les sénateurs fuyaient. Venise était prise pour la première fois. En 1797, la Sérénissime République avait cessé de vivre après mille années d’existence. Bonaparte la céda avec mépris à l’Autriche par le traité de Campo-Formio. Neuf ans plus tard, devenu empereur, il la lui reprenait pour l’incorporer au royaume d’Italie sous les ordres du prince Eugène : mais l’effondrement de 1815 refit de l’héritière de Byzance la vassale des Habsbourg. Dès lors ce fut la servitude. Venise semblait rayée de l’histoire.
Cependant deux belles pages lui étaient encore réservées. L’idée jacobine allait fomenter, dans l’Italie esclave, le carbonarisme et la lutte de ruse sous un régime de Jésuites, de policiers et de bourreaux. Durant trente années, de 1818 à 1848, on vit les tentatives de Pepe, de Charles-Albert, de Garibaldi, les défaites héroïques, les complots, les répressions sanglantes et la République un instant triomphante à Rome. Venise tressaillit à la voix de son tribun Daniel Manin. Elle osa chasser les uniformes blancs, relever son antique drapeaux de liberté nationale et soutenir, elle, République Vénitienne, un siège qu’elle prolongea durant quinze mois pour l’honneur et l’idéal, tandis que tout espoir s’écroulait à Milan et à Rome. Elle ne se rendit que quand ses forts du littoral furent en cendres, quand les boulets autrichiens tombèrent sur la Place Saint Marc, quand l’épidémie fit rage, quand il n’y eut plus de pain ni de poudre. L’Europe fut étonnée. 1849 effaçait 1797          à suivre……

samedi 5 mai 2012

LE CHARME DE VENISE - Venise courtisane (7)

Illustration d'Henri Cassiers

VENISE COURTISANE
Elle ne comptait plus dans une Europe politique et économique entièrement changée. Sa constitution, après avoir tant contribué à sa grandeur, était devenue une sorte d’Inquisition odieuse et fossile. Ses arsenaux étaient vides, ses palais s’effritaient. Mais elle gardait sa beauté de rêve, son paysage unique et son art qui, avec Tiepolo, jetait encore une si belle lueur. On en fit un lieu de plaisir. La reine vaincue et découronnée se transforma en une somptueuse courtisane….. Charles de Brosses (1709-1777), Casanova (1725-1798) et bien d’autres, nous disent ce que fut cette Venise du XVIIIème siècle qui se consolait de sa déchéance nationale en s’amusant fiévreusement… Mais les excès d’une ploutocratie internationale, subie et secrètement méprisée, ne sauraient souiller la dignité, le style, les grands souvenirs de la ville de Saint Marc. Le peuple, dans ses temps de gloire, s’adressait à des Véronèse, à des Titien, à des Tiepolo pour ordonner ses fêtes. Celles que le doge Contarini offrit à Henri III de France égalèrent à l’avance celles de Versailles de Louis XIV. Les Te Deum qui saluèrent les victoires de Lépante et du Péloponnèse furent des chefs-d’œuvre de décoration publique, sans parler du Sposalizio annuel où, de la proue du Bucentaure, le doge jetait dans l’Adriatique, à la passe du Lido, l’anneau d’or…. Gentile Bellini, Véronèse, les Canaletto nous ont peint ces spectacles. Ils nous ont montré les cortèges, les festins, la splendeur, le goût, la grâce des décors et des parures, le luxe raffiné des logis. Ils nous disent aussi la passion qu’avait pour le chant et la musique de chambre cette société qui écoutait à Saint-Marc une maîtrise illustre et dont la comédie de carrefour et le carnaval étincelaient de fantaisie et d’esprit. Il est certain que le relâchement des mœurs était extrême, en une ville où de Charles de Brosses comptait jusqu’à douze mille courtisanes en louant d’ailleurs leur politesse et leur honnêteté, outre leur beauté, et la recherche du plaisir devenait le seul but de la vie. On ne cessait de danser, de jouer, de souper, de s’attrouper autour des jongleurs, charlatans, pâtissiers et comédiens qui tenaient foire permanente de la Piazza aux Esclavons, et les pires scandales étaient accueillis par le rire d’un immoralisme effronté..... Beauté des fêtes, processions de gondoles sculptées, guidées par des gondoliers en velours pourpre, étendards flottants, carillons mêlés aux canonnades, feux d’artifice sur l’eau, banquets, concerts, atours éblouissants des femmes aux chevelures dorées, mouillées de pierreries, escortées par praticiens en toges incarnadines, gentilshommes poudrée en habit de soie… : tout ce décors, dont Longhi et Guardi nous donnent une faible idée, émouvra toujours le cœurs enthousiaste et nostalgique des artistes. Évidemment, sous ce luxe, sous ces musiques « qui versaient la folie à ce bal tournoyant », il y avait la misère plébéienne, des rancunes contre une oligarchie dégénérée qui maintenait sa façade de tyrannie caduque sur la décomposition d’une société épuisée.                                                                               à suivre…..